Massacres en Série en Colombie

Gaelle Sevenier, Reporter Free-lance

 

Recherches pour le Nouvel Observateur


Photo La Verdad, déplacés Wayuu en direction du Venezuela


La guerre civile colombienne qui oppose guérilleros et paramilitaires vient de faire de nouvelles victimes. Afin de s'assurer le contrôle des zones de production et de trafic de la cocaïne, les deux forces armées hors-la-loi ont décimé des minorités ethniques à la frontière du Venezuela.

 

Nouveau carnage en Colombie. Les victimes ? Les populations indiennes, comme d'habitude… Plus de 34 paysans de la région colombienne de Catatumbo à la frontière du Venezuela, ont été massacrés, mardi 15 Juin, par un groupe d'hommes armés identifiés par les autorités Colombiennes comme appartenant au mouvement guérilleros de la FARC. Ce massacre coïncide avec le génocide d'un village indien Wayuu perpétré deux mois auparavant par un groupe de paramilitaires dans la zone désertique de la Guajira. Les deux massacres sont directement liés au trafic et à la production de cocaïne, principal revenu des deux forces armées hors la loi. Ainsi il n'y a plus de témoins. La population terrorisée n'a d'autre solution que de fuir. Cette série de massacres a engendré le déplacement de centaines d'indiens jusqu'au Venezuela.

Le 15 Juin dernier, à 5 heure du matin, 34 paysans de la municipalité de Tibu, au Nord Est de la Colombie, ont été massacrés, pieds et mains liés par les cordes de leurs hamacs, par un groupe armé appartement aux Forces Armées Révolutionnaires de Colombie (FARC), ont déclaré les sources officielles Colombiennes. D'après les quelques rescapés, les paysans, en majorité indiens, ont été accusés par la FARC de cultiver des feuilles de coca pour le compte des paramilitaires. Contraints par ces derniers, les paysans n'avaient pourtant pas le choix. Les paramilitaires eux aussi tuent.

Il y a environ 2 mois, les paramilitaires ont massacré tout un village indien à la frontière du Venezuela afin de contrôler une des zones principales de trafic de cocaïne du pays. Maria Pinallo, une indienne de 40 ans, compte parmi les 700 Wayuu réfugiés au Venezuela. Ce sont les rescapés du génocide du village Bahia de Portete, dans la zone désertique de la Guajira, perpétré le 18 Avril dernier par les paramilitaires, également connus sous le nom de AUC, Forces d'Auto-Défense Unies de Colombie. Ceux-ci sont responsables d'environ 3500 morts par an en Colombie.

Maria vivait avec ses six enfants de l'élevage de ses chèvres à Bahia de Portete, un petit port au bord du désert colombien. Elle raconte qu'il y a de cela trois ans, le narcotrafiquant Jose Maria Borros, alias " El Che Mabala ", a augmenté le trafic de cocaïne dans la région. " Une usine de drogue a été construite, des avions arrivaient sans arrêt, de nombreux étrangers venaient acheter de la contrebande " raconte Maria. " Lorsque le vent soufflait fort, nos enfants tombaient malades à force de respirer l'acide sulfurique ou les autres ingrédients qu'ils mettent dans la cocaïne. Des familles indiennes se sont plaintes, on en parlait entre nous. Cela a du arriver aux oreilles du Che Mabala. Un matin, ils sont venus avec les paramilitaires pour nous exterminer. "

Le 18 Avril, à 7 heures du matin, environ 200 hommes armés ont entouré la cinquantaine de ranches de Bahia Portete. " Dans le désert, on peut voir de loin, c'est ce qui nous a sauvé la vie, " raconte Maria. Celle-ci n'a pas eu le temps de fermer sa porte, ni de sauver quoi que ce soit. Elle a attrapé sa plus jeune fille dans ses bras et a crié aux autres de courir le plus vite possible. Beaucoup n'ont pas eu le temps de fuir.

Jose Vincente n'a que 8 ans. Sa mère lui a ordonné de courir et de se cacher seul dans le désert. "Je courais tellement vite que les grains de sable venaient dans mes yeux et m'aveuglaient" raconte l'enfant. " Je n'ai pas eu le temps de mettre mes chaussures, mes pieds me faisaient atrocement mal." Jose Vincente dessine dans le sable comment il a réussi a échapper aux paramilitaires. Il est sûr de ce qu'il avance. " Ils avaient mon nom sur leurs listes, ils voulaient me tuer… " Le jeune garçon décrit les paramilitaires, " des hommes sombres avec des moustaches et 40 boutons sur leurs vestes militaires ". Il les a vus tuer sans merci hommes, femmes et enfants, les décapiter, les couper en morceaux avec leurs machettes, " comme de la viande hachée ". Il a également vu ses camarades d'école brûler vifs.

Luis Angel, un pêcheur de Bahia de Portete, n'a pas seulement laissé derrière lui sa maison, mais ses deux fils de 5 et 7 ans, brûlés vivants dans sa propre voiture. " Je rendais visite à ma mère ce jour-là. J'allais partir plus tôt mais la voiture ne démarrait pas. " Il a entendu ses enfants crier mais il n'a rien pu faire. La mère des deux garçons vit aujourd'hui avec sa cousine Maria Pinallo qui s'occupe d'elle. Elle souffre d'un véritable traumatisme psychologique et a complètement perdu la raison. Luis Angel ne pense plus qu'à une chose, se venger. " Là-bas, il y a mes animaux, ma terre. Il est hors de question que je les laisse aux paramilitaires. Une chose est sûre, nous vengerons la mort des membres de nos familles." Plusieurs hommes de la tribu ont décidé cette semaine de prendre les armes, de retourner sur leur terre et de se venger.

Les paramilitaires ont tué tous ceux qui ne s'enfuyaient pas. Ils ont uniquement laissé partir un vieil homme, après lui avoir tiré une balle dans une main et haché l'autre en morceaux. Ils lui ont ordonné de dire aux autres indiens de ne jamais revenir. Le pauvre homme a du se faire amputer à l'hôpital de Maracaibo. Il ne veut plus jamais retourner dans le désert.

Des centaines de Wayuu ont marché pendant des jours dans le désert de la Guajira, sans eau ni nourriture, jusqu'à ce que des camions les emmènent de l'autre côté de la frontière. Cinq jours plus tard, l'armée colombienne est arrivée sur les lieux du massacre et a trouvé des morceaux de corps humains éparpillés dans le village. Seulement 30 corps ont été retrouvés, plus de 80 sont portés disparus, " sans doute enterrés ou jetés à la mer " supposent les indiens. Lorsque l'armée est arrivée, il n'y avait plus aucun paramilitaire. " El Che Mabala a ses contacts, ils savaient que l'armée arrivait " accuse Maria. Aujourd'hui, il n'y a plus personne à Bahia de Portete. " Une ville fantôme, avec les esprits de nos morts " continue la mère de famille tout en séchant ses larmes. " Pourquoi ont-ils coupé les corps en morceaux. Ce sont des bouchers. Nous n'avons même pas pu enterrer les corps entiers de nos proches ".

Le génocide a été perpétré dans le but de contrôler le réseau des narcotrafiquants dans les ports du littoral de la Guajira. La Commission des Droits de l'Homme de la police nationale colombienne a publié un rapport spécifiant que les massacres font partie de la stratégie des paramilitaires. " Ils luttent pour la domination de Bahia de Portete, par où passe le trafic de drogue; des cargos arrivent avec de la marchandise et repartent ensuite avec de la drogue " a dénoncé une source officielle de l'armée colombienne au journal El Tiempo. Les paramilitaires et les guérilleros de la FARC, " qui sont tous les deux des groupes armés hors la loi " se battent depuis des dizaines d'années dans la Sierra Nevada Colombienne, dans la Catatumbo et dans le désert de la Guajira pour contrôler les zones de trafic et de production de la drogue.

Tous les jours, des indiens arrivent au Venezuela pour y trouver refuge. Arcadio Montiel, législateur indien du Conseil Régional Législatif affirme que seulement 309 réfugiés Wayuu ont été comptabilisés à Maracaibo par ACNUR (la Commission des Réfugiés des Nations Unis), mais que ce chiffre n'inclut pas les réfugiés qui se cachent et ceux qui se trouvent plus loin de la frontière. " Nous sommes persuadés qu'ils sont plus de 700. Culturellement, les Wayuu sont très discrets, des fois ils ne disent même pas à leurs voisins d'où ils viennent. " Les indiens ont aussi très peur de témoigner, sachant que des paramilitaires ont également traversé la frontière pour se cacher de l'armée colombienne.

" La situation est très compliquée " explique le législateur. " Les Wayuu vont chercher à se venger, c'est dans leur culture de venger leurs morts. Ils ont leurs propres lois dans la Guajira, qui est une région coupée en deux par la frontière du Venezuela. Pour les indiens, il n'y a pas de frontière, cette terre leur a toujours appartenu. Ensuite il y a les paramilitaires, le groupe armé d'extrême droite du pays. Ils sont en guerre civile contre la FARC qui est l'un des groupes socialistes de la guérilla. Les deux sont impliqués dans le trafic de drogue. Et puis à côté de ça il y a les gouvernements colombien et vénézuélien. Tous ont leurs propres codes et lois internes. "

D'après Montiel, le "génocide Wayuu" comme il le dénonce, n'a pas été suffisamment sérieusement traité par le gouvernement vénézuélien. " La situation politique du pays, avec le futur référendum sur la révocation du Président Chavez, fait que le gouvernement est très occupé. Les actions du gouvernement contre le génocide ont été trop faibles. Les Wayuu méritent plus d'attention en tant qu'êtres humains".

Ricardo Rincon, Président de la Commission Nationale des Réfugiés du Venezuela, affirme néanmoins que " la politique du Gouvernement a toujours été de favoriser les peuples indiens. Notre président est lui même de descendance ethnique indienne. " D'après Ricon, la série de meurtres perpétrée récemment en Colombie a engendré un grand déplacement de population ethnique au Venezuela : " Les victimes de ces deux massacres sont les peuples indiens. Nous sommes en train d'analyser leur relation avec le nombre de personnes arrivant dans notre pays. D'après l'article 69 de notre Constitution, le Venezuela reconnaît et garantit le droit d'asile des réfugiés. Il s'agit de la responsabilité du Président Chavez".

Les massacres colombiens interpellent la communauté internationale. Le 22 mai dernier, lors du forum des Nations Unies sur les Droits des Indiens, qui a eu lieu cette année à New York, Noeli Pocaterra, Vice Présidente de l'Assemblée Nationale Vénézuélienne, a dénoncé le génocide Wayuu. " J'ai utilisé cette opportunité pour dénoncer le problème des déplacements d'indiens dans la haute région de la Guajira, " nous explique la Vice Présidente. " Les Wayuu sont persécutés par les paramilitaires. J'ai demandé une aide humanitaire internationale afin que le Haut Commissariat des Nations Unies fasse une enquête. Un véritable génocide a eu lieu en Colombie, nous avons besoin de l'aide internationale ".

Les autorités colombiennes ont peur d'une recrudescence de la guerre interne entre paramilitaires et guérilleros pour le contrôle des zones de production de cocaïne. D'après la Vice Présidente du Venezuela, le problème de guerre civile en Colombie n'est pas prêt de se terminer, et générera sans doute encore de nombreux " déplacements " de la population, au niveau national et international.

 

 

Afin d'aider les tribus indiennes déplacées vers le Venezuela, contacter la Croix Rouge du Venezuela :


La Cruz Roja de Venezuela
Arcadio Montiel y administración,
Desplazados Colombianos
Avenida 11 con calle 82 y 83
Sector Veritas
Maracaibo Estado Zulia
Venezuela


Photo La Verdad, aide de la Croix rouge

 


Photo Gaëlle Sévenier, Jose Vincente, temoin du génocide Wayuu


Photo Gaëlle Sévenier, désert de la Guajira, Colombie


Photo Gaëlle Sévenier, Jose Vincente et sa famille réfugiée au Venezuela

.
Photo: Anthony Asael (www.photo-art.be)

 


Les véritables victimes de la Guerre Civile Colombienne
Gaëlle Sévenier

L'ONG américaine du comité des Réfugiés a publié récemment un rapport stipulant que plus de trois millions d'individus ont été déplacés en Colombie en raison du conflit armé, malgré l'aide du Plan Colombie financé par les Etats Unis.

La guerre civile entre les paramilitaires et la guérilla colombienne a comme conséquence la migration massive d'indiens et de paysans vers les grandes villes du pays ainsi que vers les pays voisins, Equateur, République Bolivarienne du Venezuela et Panama. Ricardo Rincon, Président de la Commission Nationale des Réfugiés du Venezuela, affirme que plus de 2400 réfugiés colombiens sollicitent aujourd'hui l'asile politique " afin de fuir le conflit interne en Colombie ".

Luis Alfonso Hoyos, Conseiller Présidentiel du Département des Actions Sociales Colombienne, a affirmé à l'AFP que depuis 2002, le gouvernement colombien a réussi à renvoyer chez eux plus de 80 000 colombiens qui avaient été déplacés par la force par la guérilla et les paramilitaires.

D'après Hovos, 120 millions de dollars ont été obtenus cette année afin d'aider les déplacés. La plupart des fonds viennent du Plan Colombie pour lequel les Etats Unis ont versé 2 600 millions de dollars depuis l'an 2000, principalement pour lutter contre la production de la drogue. Néanmoins, les habitants les plus pauvres et les tribus indiennes restent les véritables victimes de la guerre civile colombienne et du trafic de drogue international. Le gouvernement colombien estime le nombre de déplacés à 45 415 pendant les trois premiers mois de 2004. Le récent massacre des 34 paysans de la Catatumbo et le génocide de la tribu Wayuu dans le désert de la Guajira démontrent l'urgente nécessité d'une aide internationale pour les victimes colombiennes.


Photo La Verdad, réfugiés Wayuu


Photo La Verdad, victimes de génocide en Colombie

 


Photo La Verdad, aide internationale de la Croix Rouge


Photo Gaëlle Sévenier, famille de réfugiés

Photo Gaëlle Sévenier , désert de la Guarija, Colombie


Author - Other publications