Les Kunas de l'archipel de San Blas : un peuple guerrier autonome


Gaelle Sevenier

23 Avril 2004

L'image classique du Panama est celle de son fameux canal, de ses grattes ciels au milieu de la capitale, peut être de quelques plages de sable fin. Le Panama est néanmoins le pays d'Amérique Centrale après le Guatemala où l'on trouve le plus de tribus indigènes ayant gardé presque intacte leur culture et traditions ancestrales. Les Kunas, qui représentent plus de 50,000 habitants sur une population globale de 2 millions 900 mils personnes, sont un peuple exceptionnel encore peu connu des voyageurs.

Le peuple Kuna est originaire de Mayas, métissés aux indiens d'Amazonie. Peuple guerrier depuis des générations, les Kunas ont réussi à garder leurs traditions ancestrales, tout en s'ouvrant à la modernité. Ils vivent aujourd'hui dans 49 communautés du Panama. La majeure partie se situe dans l'archipel de San Blas, Comarca semi-autonome de Kuna Yala, sur la côte caraïbe du pays. On dit de ses îles entourées d'eau turquoise qu'il en existe suffisamment pour en découvrir une nouvelle chaque jour de l'année. Les indiens d'Ustupu, île la plus peuplée de l'archipel, se sont modérément ouverts au tourisme en imposant une taxe d'entrée, ce qui les protège d'un tourisme de masse qui pourrait détruire leur culture et traditions.

C'est en 1925 que les Kunas ont fait leur révolution et obtenu le statut d'autonomie politique au Panama. Les Kunas n'étant pas de taille, avec leurs flèches et leurs machettes, ils ont fait appel à l'aide internationale. Lonny Hetman, ancien président de l'île d'Ustupu de l'archipel de San Blas, précise qu'après avoir été sollicités, les américains ont offert aux Kunas un bateau anciennement ancré sur le fleuve du Missipi, le Cleveland : " Lorsque trois embarcations Panaméennes arrivèrent sur San Blas pour nous exterminer, le Cleveland qui les menaçait leur a fait peur et ils ont fait demi-tour. " La Comarca Kuna Yala bénéficie aujourd'hui d'une certaine autonomie sur son territoire, avec ses propres lois et son Congrès Général.

Il serait faux d'affirmer que ce peuple indien a gardé toute son identité traditionnelle. Mani Stanley, un jeune étudiant Kuna, explique que " contrairement à d'autres peuples, les Kunas ont assimilé beaucoup d'autres cultures. Nous avons des relations commerciales avec la Colombie. Nous n'avons pas oublié l'aide américaine lors de la révolution de 1925. Nous avons également eu des relations commerciales avec les français et les hollandais. Nous sommes très ouverts culturellement. " Les Kunas ont adopté de nombreux aspects du monde extérieur et les ont adaptés à leurs besoins. Depuis longtemps ce peuple a l'habitude de voyager par bateau pour découvrir de nouveaux horizons. Beaucoup travaillent aujourd'hui pour des entreprises Américaines ou étudient à Panama City.

Alors que les hommes Kunas s'habillent de T-shirts et pantalons classiques, les femmes portent des robes colorées et des Molas traditionnelles. Les femmes Kunas se parent de bracelets multicolores appelés Winnis, ou Chaquiras en espagnol, sur toute la longueur de leurs bras et de leurs jambes. Selon leur croyance, ces bracelets les protègent des mauvais esprits. Les femmes ont généralement les narines transpercées par un anneau d'or, et tracent sur leur front une petite ligne verticale avec une peinture noire à base Jagua, fruit de palmier.

Malgré les nombreux efforts des missionnaires coloniaux et de certaines sectes, les Kunas ont gardé leurs croyances pour la Nan Dummad, la Terre Mère, et respectent leur environnement naturel. Alors que le Sahila représente sa communauté lors du Congrès Général, le Nele est le leader spirituel. Guérisseur doté de pouvoirs particuliers, le Nele se fait connaître dès sa naissance. " La mère du Nele sait lorsque celui-ci va naître. " explique le vieux Lonny. " A sa naissance, ses pouvoirs sont capables de tuer ses parents. Si la mère ne meurt pas immédiatement, mais que l'enfant montre des signes particuliers, il est séparé de sa famille. Personne ne lui dit qui sont ses vrais parents afin de les protéger d'une mort certaine. En grandissant, le Nele doit approfondir ses connaissances innées et accomplir certains rituels. " Une fois adulte, le Nele s'aide d'une petite poupée de bois appelée Nucho pour diagnostiquer les maladies et soigner ses patients.

Le peuple Kuna est depuis toujours un peuple guerrier où le rôle de la femme a une grande importance. On retrouve dans les légendes Kunas transmises oralement de génération en génération des exemples de révoltes Kunas face aux colonisateurs. Briseida Iglesias, mère de famille Kuna, explique qu'" au moment de la colonisation, le leader du groupe était une femme qui s'appelait Narascunial, la première femme qui s'est affrontée aux espagnols. La communauté était pétrifiée de les voir tuer sans merci. Cette femme d'un courage exceptionnel, accompagnée de sa fille, s'est rendue dans la jungle pour affronter les colonisateurs. Dans la nuit, elles ont mis en place leur stratégie. Narascunial était très belle, avec de longs cheveux jusqu'aux pieds. Lorsque les colons arrivèrent, elle se déshabilla entièrement. Ceux-ci, impressionnés par sa beauté, se rapprochèrent et tombèrent dans le piège qu'elles avaient fabriqué avec des herbes pendant la nuit. De retour dans sa communauté, elle accusa les hommes d'être des lâches et les somma de réagir pour se défendre "

Les Kunas peuvent aujourd'hui encore être considérés comme un peuple de guerriers, fiers et indépendants, qui se protège de son mieux des influences de la modernité. " En ce moment, le Congrès ne permet l'accès aux touristes que s'ils payent un droit d'entrée. " explique Sogui Diaz, une jeune étudiante Kuna qui vit désormais à la capitale. " C'est parce que nous devons payer beaucoup de choses dans la communauté pour survivre. Je reconnais que nous sommes un peu fermés aux touristes… "
Sogui a une vie tout à fait similaire à celle de nombreuses autres jeunes filles de la capitale. Elle avoue que le risque de " contagion " du monde occidental est très réel. " Nous n'avons pas d'échappatoire, nous sommes dans une lutte permanente pour préserver ce qui est à nous, notre culture."
Sogui parle couramment le Kuna et l'espagnol. Elle participe à des démonstrations de danses traditionnelles, s'implique dans la politique du Congrès Général et collectionne les Molas, le vêtement féminin traditionnel Kuna. Son intention est de " sauver " les jeunes de sa génération. " Ils vivent dans le monde moderne, mais ils peuvent aussi le combiner avec le monde traditionnel, comme moi par exemple. "

Aujourd'hui, le pourcentage le plus élevé de pauvreté au Panama concerne les peuples indigènes. La Comarca Kuna Yala est protégée grâce à son statut autonome, mais les territoires de leurs frères Wounaans ou Emberas se réduisent de jour en jour au profit des colons (métisses latinos) qui brûlent leur terre ou les vendent à des investisseurs.
Briseida se révolte : " Je voudrais aller devant le gouvernement pour leur dire en face qu'ils ne reconnaissent pas leur culture et qu'ils ne valorisent pas nos frères. Mais quand je rentre en politique, tous m'applaudissent parce qu'ils veulent mon vote. C'est ce qui s'est passé lors des récentes élections au Panama. " D'après elle, le Gouvernement Panaméen ne s'intéresse au sort des communautés indigènes que lors des élections, comme celles organisées le 6 Mai dernier, qui a mis au pouvoir le candidat du Parti Révolutionnaire Démocrate (PRD) Martin Torrijo, mettant fin au 4 ans de mandat de l'ancienne Présidente Mireya Moscoso.

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