Les autorités honduriennes impliquées dans des meurtres d'enfants
Gaëlle Sévenier

 

D'après l'organisation humanitaire Casa Alianza, plus de 1 400 enfants et adolescents âgés de 10 à 23 ans ont été assassinés au Honduras depuis janvier 1998. Régulièrement, des escadrons de la mort, pour lors non identifiés, arrivent au volant de leurs voitures dans les endroits les plus pauvres des grandes villes du pays et prennent pour cible les jeunes délinquants. Aucune enquête n'est effectuée sur ces meurtres qui sont réalisés de sang froid, les autorités honduriennes les considérant comme un " nettoyage social. "

 


Delmer, ancien membre de la "Sur 13" et sa fille d'un an et demi.

Delmer habite dans un quartier pauvre de San Pedro Sula, la deuxième ville du Honduras. Du haut de ses 23 ans, il sert très fort dans ses bras sa petite fille âgée d'un an et demi. Les tatouages couvrant entièrement son corps n'impressionnent pas la petite qui connaît très bien le pouvoir de ses grands yeux sur son papa. C'est lorsqu'il avait 10 ans que Delmer est entré dans le Gang " Sur 13 ", après que son père ait quitté sa mère, la laissant sans aucune ressource. " Le gang était pour moi une véritable famille " explique Delmer. " Nous habitions tous ensemble. Si l'un d'entre nous ne mangeait pas, personne ne mangeait. " Aujourd'hui, le jeune homme impliqué dans un programme de réintégration sociale se trouve confronté aux meurtres de la plupart de ses amis et de ses frères. Il craint pour sa vie et pour la sécurité de son enfant.

Le phénomène des gangs est un problème récurant en Amérique Latine. Les gangs appelés " Maras " sont un produit " Made in USA". Le nom de Mara vient de " Marabunta ", une fourmilière africaine géante qui dévore tout sur son passage. Durant les années 60, les gangs des Etats Unis s'identifièrent ainsi dans le but d'envahir la ville de Los Angeles. Lorsque les immigrés Latinos retournèrent dans leur pays, ils recréèrent les mêmes structures de gangs en Amérique Centrale.

La crise économique qui a suivi le désastre écologique de l'ouragan Mitch, en novembre 1998, n'a fait qu'attiser le phénomène des gangs au Honduras. De nombreuses familles se retrouvèrent dépourvues de logement et de salaire : aujourd'hui, plus de 300 000 enfants vivent de façon marginale dans les rues du Honduras. Pour se recréer une identité sociale et un environnement familial, nombre d'entre eux se sont tournés vers la délinquance en rejoignant un des 475 gangs du pays.

La majeure partie de la société considère ces adolescents comme une " maladie sociale ", des " fourmis à écraser. " Cela atteint des proportions telles que tout adolescent portant un tatouage, un pantalon large, une boucle d'oreille, ou encore ayant le crane rasé, est automatiquement catalogué par la société hondurienne comme un dangereux criminel. Néanmoins, les membres des gangs restent des enfants qui ont grand besoin de programmes de réintégration social. Le gouvernement hondurien semble pour sa part penser différemment. En novembre dernier Ricardo Maduro, leader du parti nationaliste d'opposition, a gagné les élections avec comme slogans " zéro tolérance " et " guerre contre la délinquance. " Depuis ce jour, les meurtres ne donnant lieu à aucune suite judiciaire au Honduras ont augmenté considérablement.


Il y a environ trois ans, Ricardo Maduro a perdu son fils lors d'une tentative d'enlèvement. D'après la rumeur, le président chercherait aujourd'hui à se venger des gangs en autorisant les meurtres extra judiciaires. Ces dernières années, le gouvernement a augmenté les ressources financières de la police et de l'armée, de nombreuses tentatives de réformes ont été entreprises afin de réduire la majorité pénale de 18 à 16 ans, et de rétablir le service militaire ainsi que la peine de mort. Aucun fond n'a été débloqué pour des programmes de réinsertion sociale, et aujourd'hui, de nombreux témoignages impliquent la police hondurienne dans les affaires de tortures et de meurtres d'adolescents.

Delmer a lui-même fait l'expérience de la violence des autorités honduriennes. La dernière fois qu'il a été interpellé par la police, il revenait de l'enterrement d'un jeune garçon assassiné. " J'étais assis, on se détendait un peu avec d'autres jeunes " explique l'ancien membre de la " Sur 13. " " Ils sont arrivés et nous ont dit : " Debout, montez dans la voiture. " Et là ils m'ont pris, m'ont déshabillé et m'ont attaché en l'air par les pieds. Ils m'ont ensuite tabassé avec une batte en aluminium jusqu'à ce qu'ils me laissent tomber, la tête la première par terre. Ils ont aussi tiré dans le pied d'un des jeunes lorsqu'ils l'ont capturé. Personne n'essayait de s'enfuir pourtant, on ne faisait que se reposer. Ils peuvent faire tout ce qu'ils veulent avec les jeunes ici… "

Ce qui est arrivé ce jour là à Delmer n'a rien d'exceptionnel dans les quartiers pauvres du Honduras. Un des amis de Delmer, Victor, vient récemment d'être victime d'un officier de police qui lui a tiré dans la colonne vertébrale, le laissant paralysé à vie. Victor n'appartenait pourtant à aucun gang, il était juste un peu ivre un soir lorsqu'il a été interpellé par la police. " Selon la police, il s'enfuyait et c'était un " dangereux criminel," " témoigne Delmer. " C'est un mensonge. Mais ici, c'est l'information qu'ils donnent qui est écoutée, pas la nôtre. "

De nombreux témoignages prouvent qu'au moins une fois par mois, une " voiture grise " ou " rouge " débarque à l'improviste dans les endroits où vivent généralement les membres des gangs. Ils donnent l'ordre aux adolescents de se dévêtir pour montrer s'ils portent un tatouage. Si c'est le cas, ils sont tués sur le coup, généralement d'une balle dans la tête, ou bien emmenés dans les voitures, puis torturés et faits " disparaître ". Personne ne sait qui sont ces escadrons de la mort. Certains disent que la police est dans le coup. D'autres parlent de groupes de vigiles embauchés par des hommes d'affaires afin de protéger leur business. Qui que soient ces meurtriers, le gouvernement du Honduras " est responsable d'omission en n'enquêtant pas et en ne poursuivant pas de manière efficace les assassins, " dénonce Bruce Harris dans un rapport de Casa Alianza. " Cet échec évident de la part de l'Etat hondurien qui ne punit pas les responsables de meurtres d'enfants n'est pas seulement une omission, mais cela peut être également interprété comme un encouragement afin que d'autres personnes continuent ce genre d'actions illégales contre les membres de gangs au Honduras. "

Ricardo Torres, coordinateur du Programme de Récupération de Jeunes Délinquants de l'organisation Paix et Justice (Paz y Justicia), se rend compte qu'avec tous les cas de meurtres, " il doit y avoir des gens dans ce pays qui savent ce qui se passe. Mais personne ne veut dénoncer. " Personne, sauf un sous officier de police, chef des affaires internes au bureau de Sécurité, Maria Luisa Borjas, qui a osé parler à voix haute. En octobre dernier, Borjas, qui a servi dans la police hondurienne pendant plus de 25 ans, dénonçait publiquement le fait que des gens haut placés ainsi que des agents de police sont impliqués dans l'exécution de jeunes gens suspectés de faire partie de gangs. " J'ai la preuve " déclare-t-elle " que de nombreuses pièces à convictions sont détruites et manipulées afin que les enquêtes n'aboutissent pas. " Ce sous officier de police prétend que de nombreux agents de police sont impliqués, soit directement dans l'exécution des meurtres, soit par omission, complicité ou manipulation des preuves. Peu après sa déclaration publique, Maria Luisa Borjas a commencé à être marginalisée à l'intérieur de son propre département : on lui a demandé de quitter son poste, des membres de son personnel ont été renvoyés, et elle a reçu des menaces de mort anonymes.

Quelques organisations des Droits de l'Homme jouent également un rôle pour dénoncer les crimes extra-judiciaires du pays. Lors d'une visite au Honduras, une représentante de la commission des droits de l'homme des Nations Unis, Asma Jahangir, dénonçait "un climat dans lequel les enfants sont assassinés avec impunité. " Ce qu'elle a vu et entendu lors de son séjour " montre de façon évidente que des enfants sont tués au Honduras par des membres des forces de sécurité. " En août 2002, un membre du comité de la défense des droits de l'homme qu Honduras (CODEH), Andrès Pavon, assurait, lors d'une conférence de presse que " la police n'est pas seulement responsable de cas de tortures mais des officiers hauts placés sont également responsables de crimes. " Aujourd'hui, même l'église catholique dénonce la passivité de l'état devant les 1 400 meurtres de jeunes honduriens.

L'organisation Paix et Justice aide les membres des gangs à se réintégrer dans la société hondurienne. Ils les ont déjà aidés à nettoyer les murs de leurs maisons afin d'effacer les graffitis des gangs. L'un des principaux obstacles à la réintégration des anciens membres des gangs dans une vie normale sont les tatouages qui leur couvrent le corps. Les tatouages sont synonymes de mort si ceux qui en portent sont arrêtés dans la rue ; De plus, on oblige les jeunes à se dévêtir pour obtenir un emploi: s'ils portent un tatouage, personne ne les embauche. Enlever un tatouage au laser coûte extrêmement cher et aucun des jeunes ne peut se l'offrir. Néanmoins, devant l'énorme besoin de ces adolescents, l'organisation Paix et Justice a trouvé un moyen de nettoyer la peau grâce à une machine à infra rouge donnée par une Eglise des Etats Unis. Le procédé est extrêmement long et douloureux. Malgré cela, le premier jour où l'organisation a pu disposer de ces instruments, plus de 200 adolescents ont fait la queue devant les portes, espérant que l'organisation allait pouvoir leur offrir une nouvelle vie sans discrimination.

Les membres de Paix et Justice déplorent la mort de 25 enfants parmi les 60 impliqués dans le processus de réintégration de l'organisation : " cela nous fait tellement mal au cœur de voir que ces jeunes, qui étaient impliqués dans notre programme de réinsertion depuis plus de 2 ans ont été assassinés " avoue Ricardo Torres. Pour son collègue Denis Mata, la solution réside dans une meilleure formation des officiers de police, puisque " la violence n'arrête pas la violence. " " Avec tout ce qui se passe dans ce pays, " conclut Ricardo Torres, " nous continuons en silence à travailler patiemment. Nous ne voulons pas devenir célèbres, nous ne sommes pas des héros, nous voulons juste donner un petit peu d'attention aux jeunes pour qu'ils se rendent compte que quelqu'un est là pour leur apporter un peu d'amour, de compréhension et de solidarité afin qu'ils réalisent un jour leurs rêves. "






Adolescents en réinsertion dans le programme de Paix et Justice, enlevant les grafittis des gangs sur les murs de leurs quartiers.


Les adolescents se tatouent presque entièrement le corps pour marquer leur appartenance au gang.

L'oraganisation Paix et justice enlève les tatouages grace à une machine à infra rouge

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