Développement en territoire
indigène : la Comarca Naso Teribe du Panama.
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Un royaume indien dans la jungle panaméenne ? Non, il ne s'agit pas d'une super-production hollywoodienne, ce royaume existe bel et bien. Il se cache au nord-est du Panama, dans les montagnes de Talamanca que traverse le fleuve Teribe, non loin de la frontière du Costa Rica. Son roi, Tito Santana, règne sur la tribu Naso Teribe, environ 3500 âmes réparties sur onze communautés le long du fleuve, au cur de la jungle. Alors que le Panama est en pleine période électorale présidentielle, les Naso Teribe essaient de faire reconnaître leurs droits et leur culture. Ce groupe ethnique est à un tournant de son histoire, comme le montre le contexte politique et territorial actuel. Le village du roi Tito Santana, Seijic, se trouve à plus de deux heures de pirogue sur le fleuve Teribe couleur de boue qui longe une forêt tropicale presque impénétrable. Les indiens y vivent isolés du monde, à plusieurs kilomètres en amont d'un ancien centre d'entraînement de survie militaire, camp de base de l'ancien dictateur panaméen Manuel Noriega. Depuis la ville de Changuinola, dans la province de Bocas Del Toro, il faut d'abord emprunter un transport local par une route caillouteuse pour rejoindre El Silencio, point de départ pour tous ceux qui désirent s'aventurer sur le territoire des Naso Teribe. Les dizaines de pirogues accostées en contrebas de la route sont les seuls moyens de locomotion pour rejoindre les communautés indigènes.
Au fur et à mesure que l'embarcation remonte le fleuve, luttant contre les rapides tumultueux avec toute la force de son puissant moteur de 80 chevaux, se succèdent de magnifiques paysages. En premier plan les rives à la végétation luxuriante nous offrent des scènes de vie quotidienne intemporelle : femmes qui battent leur linge dans l'eau, enfants nus qui plongent et s'éclaboussent en riant, pêcheurs qui jettent leurs filets, familles qui descendent à la ville vendre leurs fruits sur des radeaux de fortune. Au second plan la forêt dense, entremêlement inextricable d'arbres immenses, de lianes, de plantes tropicales luisantes, de fleurs rouge sang qui parsèment la canopée. Puis au loin se devinent les montagnes brumeuses sur lesquelles les nuages semblent se poser. Seuls les cris des aras, des toucans et des oiseaux aquatiques troublent le silence. Quelques maisons sur pilotis, en bois et feuilles de palmes, blotties sur des carrés d'herbe tendre, s'intègrent parfaitement au paysage. Des vaches blanches bossues de race " brahma ", apparentées aux zébus, paissent paisiblement, accompagnées par des petits échassiers blancs attentifs à leurs moindres gestes. Le temps semble s'être arrêté à une époque où l'homme et la nature vivaient en harmonie complète, sans bruit, pollution ni destruction. Le fleuve de l'arrière-grand-mère est un passage entre deux mondes. En amont, le territoire traditionnel des Naso Teribe qui se caractérise par un peuple vivant presque en autarcie, avec des particularités culturelles, des besoins spécifiques et une économie traditionnelle. En aval, la ville de Changuinola, capitale de la province de Bocas del Toro, avec ses usines, ses supermarchés, ses voitures, une société de consommation comme on en trouve dans tous les pays. Les premières informations sur la population Naso Teribe remontent à l'arrivée de Christophe Colomb en 1502, sur les rivages de l'actuelle ville d'Almirante. La population Naso Teribe était alors répartie sur toute la vallée du fleuve, jusqu'à la ville. Aujourd'hui le territoire Naso Teribe représente 15% de la province de Bocas del Toro soit 130.000 hectares. Ces dernières décades, les populations se sont rapprochées de la partie inférieure du fleuve, facilitant ainsi la communication avec Changuinola et les autres zones urbaines du pays. Les jeunes Naso Teribe sont tiraillés entre deux cultures. Leur
peuple a longtemps vécu dans un microcosme, et aujourd'hui ils
subissent l'attrait du modernisme. " Les Naso Teribe ont maintenu
une culture très fermée et ont été peu influencés
par la nôtre ", nous informe le sénateur de la région
de Bocas del Toro, le Docteur Batista, mais la tendance est en train
de s'inverser. Comme le soulignent Andy et Lori Keener, un couple de
Nord-américains qui vivent depuis cinq ans à Seijic pour
y traduire la bible en Naso et rassembler des histoires sur la culture
de ce peuple " la culture Naso Teribe est en train de mourir. En
perdant leur langue, ils perdent leur culture et leurs traditions. Ils
sont en train de perdre petit à petit ce qui les rend uniques.
Ils adoptent des choses de l'extérieur mais les adaptent à
leur manière ". Les plus clairvoyants ont compris qu'ils
ne pourraient conserver leur identité qu'en sauvant leurs spécificités.
Le roi Tito Santana fait partie de ceux qui veut relever le défi
de garder les traditions tout en intégrant certains concepts
modernes. " Nous avons créé un groupe de traditions
culturelles qui écrit un livre sur les histoires de notre passé.
Nous sollicitons le gouvernement pour avoir une éducation bilingue
(Espagnol / Naso), les enseignants dans nos écoles sont indigènes
mais n'enseignent qu'en espagnol. Nos enfants ne parlent plus le Naso.
Ils oublient notre langue, nos danses. Ils veulent du cacao moderne,
du pain, des choses auxquelles on n'a pas accès sur notre territoire
". L'élection du Roi montre bien cette volonté de garder les traditions tout en intégrant certains concepts modernes. Depuis une dizaine d'année, les Naso Teribe ont introduit des idées démocratiques dans le mode de sélection de leurs représentants. Les Rois doivent obligatoirement être issus d'une certaine lignée du nom de Santana. Mais si la population le demande, de nouvelles élections sont organisées pour élire un autre Roi parmi les nombreux personnes portant le nom de Santana. Toute décision de celui-ci doit ensuite passer par un Conseil Général dont les membres sont également élus. Tito Santana ne correspond pas à l'image que l'on peut avoir d'un roi. La quarantaine sèche, la morphologie typique des indiens, il a gardé toute la simplicité d'un paysan et est avant tout un père de famille, un habitant parmi d'autres de Seijic, village relativement pauvre, perdu dans la jungle panaméenne. Il vit avec son épouse au milieu des chiens et des poules, il s'occupe de ses cacaoyers, de ses bananiers, de quelques pieds de café, il se lève aux aurores et manuvre seul la pirogue qui l'emmène quotidiennement en ville. Ce n'est que lorsqu'il reçoit des visiteurs importants qu'il revêt sa couronne de palme et ses vêtements de cérémonie. Le reste du temps, il s'habille en jean et en T-shirt ! Son poste lui permet l'accès à un bureau privé (appelé " palais ", qui n'est en fait qu'une simple maison en dur décorée de quelques fresques), avec une table éclairée à la bougie, quelques livres et documents, et des photos de ses prédécesseurs. De caractère plutôt réservé, le regard du roi s'illumine lorsqu'il nous parle de la culture de son peuple. Tito Santana a fait une promesse à son peuple lorsqu'il a été nommé Roi il y a cinq ans. Celle de protéger la terre de ses ancêtres en créant une Comarca, c'est à dire un territoire inaliénable doté de sa propre constitution, appelée loi organique. Les Naso Teribe sont l'un des derniers groupes indigènes du Panama à ne pas avoir encore de Comarca. D'après Tito Santana, "la Comarca représente une sécurité pour continuer à conserver nos ressources. C'est une protection pour avoir plus de force pour négocier les projets de développement".
"La Comarca va aider le peuple. Ils ne pourront plus vendre leurs terres à des étrangers" analyse l'américain Andy Keener . "Beaucoup ne se rendent pas compte du rendement de leur terre et sont prêts à vendre à bas prix parce qu'ils ne voient que le bénéfice du moment et ne se projettent pas dans l'avenir". Le territoire traditionnel des Naso Teribe n'étant actuellement pas protégé par une Comarca, il se pourrait que dans les années à venir un barrage hydroélectrique et une usine de retraitement des eaux voient le jour sur leurs terres. A l'heure actuelle, la décision revient aux Naso Teribe. Le gouvernement ne peut pas exploiter ce projet d'aménagement sans leur consentement. "Si nous acceptons" dit le Roi "nous savons que notre terre va souffrir, que des plantes médicinales vont être détruites et qu'une route sera construite". Notre peuple est en train de discuter du projet, ils ne pourront pas le faire sans notre accord". Mais les Naso Teribe sont soumis à des pressions extérieures car les habitants de Changuinola se plaignent du coût de l'électricité, la plus chère du Panama. On essaie d'influencer les Naso Teribe en leur promettant différents avantages, séduisants pour les particuliers mais qui ne profiteraient pas à la communauté. On est en droit de se demander ce qui pourrait découler de la réalisation d'un tel projet d'aménagement, sans parler des modifications environnementales. Qu'en sera t-il de la culture d'un peuple qui fonde ses croyances et sa spiritualité dans sa relation avec le fleuve Teribe ? Un fleuve qui prend sa source là où leur dieu se repose et dont on voudrait modifier le cours et le débit... Quand les Naso Teribe veulent se rendre à la ville, ils confectionnent
un radeau rudimentaire avec quelques troncs de palmier liés entre
eux, et ils descendent les rapides en s'aidant de grandes perches de
bois, debout sur les troncs, en équilibre instable, risquant
de basculer à tout instant. Pour remonter à leur village,
ils utilisent une barque à moteur, mais il faut savoir que le
prix élevé du carburant au Panama rend le trajet extrêmement
onéreux. L'aménagement d'une route représenterait
donc pour eux un progrès évident, une économie
de temps mais aussi d'argent.
Pour plus d'information, contactez ODESEN par mail ou par courrier.
Centro ecológico Wetso : ANAM (autorité nationale de
l'environnement) |
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